Dans cette interview exclusive, Hervé GRANSART, auteur du roman « Bats-toi », nous plonge dans l’univers complexe des violences conjugales. Engagé depuis plus de vingt ans dans une association d’aide aux femmes victimes de ces violences, Hervé GRANSART s’inspire de son expérience pour donner vie à une fiction bouleversante et universelle. A travers un récit sans prénoms, où les émotions sont au coeur de l’histoire, l’auteur décrit avec finesse la mécanique de l’emprise, de la douleur et la longue reconstruction des victimes. Entre témoignage et littérature, « Bats-toi » se veut à la fois un hommage aux femmes et un cri de sensibilisation contre ces violences souvent invisibles. Hervé GRANSART nous dévoile les coulisses de son écriture, les défis psychologiques qu’il a relevés pour traiter ce sujet délicat. Mais également son parcours littéraire, avec sincérité et profondeur.
L’origine de l’œuvre « Bats-toi » de Hervé GRANSART
Charlène MALANDAIN: Qu’est ce qui vous a inspiré pour écrire « Bats-toi »? Est-ce basé sur des faits réels ou une fiction purement imaginée ?
Hervé GRANSART : Alors c’est la somme de faits réels. C’est aussi pour cela que je ne voulais pas, c’est un choix de parti pris. Je ne voulais pas un prénom aux deux personnages. En fait, moi, je suis sur ce sujet, des sujets faites aux femmes, sexuelles et psychologiques. Je contredis mon travail. Je suis bénévole dans une association depuis 2005.
Donc, c’est la somme de ce que j’ai entendu depuis vingt ans. Alors, c’étaient des sujets qui me préoccupaient avant. Maintenant, je le suis en tant que bénévole de l’association. Mais l’idée, c’était de raconter une mécanique de l’emprise dans la relation. Les deux personnages n’existent pas, mais c’est la somme de toutes celles qui vivent ça. Parce que la mécanique est toujours la même, quel que soit le degré de violences physiques, psychiques et psychologiques. Et la mécanique est toujours la même.
L’idée est une sorte de témoignage. Rien d’académique. C’est technique. Moi je suis auteur. Donc je raconte des histoires. Je suis un conteur d’histoire. J’avais trouvé ce terme qui me plaisait bien. Je suis un souffleur d’histoire. Je voulais par la fiction raconter des faits réels. Voilà !
C’est la somme de faits réels. Dans chaque violence, des femmes vivent des choses différentes. Elles ont toutes un parcours différent. On retrouve une même continuité d’une manière ou d’une autre.
Charlène MALANDAIN : Vous abordez un sujet très délicat dans notre société, les violences conjugales. Pourquoi avoir choisi de traiter ce thème et surtout sans les prénoms des personnages ?
Hervé GRANSART : On pourrait m’objecter de le faire parce que c’est à la mode. Encore une fois, ça fait plus de 20 ans que je suis acteur dans ce sujet. C’est venu, je dirais, avec la maturité de mon écriture. Si ce n’est pas venu avant, je ne pouvais pas, je n’en avais pas envie. Je n’avais pas additionné tout un processus. Puis, j’avais des choses à écrire avant. Ça arrive maintenant. Le livre est sorti il y a un an.
Je n’ai pas un plan de carrière bien défini. On en parle beaucoup aujourd’hui. C’est à la mode de la société. Le patriarcat existe depuis des millénaires. C’est simplement qu’on en parle plus aujourd’hui. Pour vous assurer, il y a vingt ans, on n’en parlait pas ou peu. Pourtant, il y avait autant de femmes tuées, assassinées.
Ce ne sont pas des auteurs. Ce sont des agresseurs. C’était simplement plus rentré, plus caché. Mais les associations ne découvrent pas d’aujourd’hui l’étendue de cette violence. Aujourd’hui, c’est simplement médiatisé. On pourrait dire que je fais partie du mouvement. Oui. Peut-être. Je ne suis pas totalement passé à autre chose. J’espère que cette histoire va avoir une autre vie. Sur mes romans, je suis passé totalement à autre chose de différent. Je me suis aussi stabilisé avec mes éditeurs, maintenant qui me suivent. Alors que j’ai changé pas mal d’éditeur parce que ça ne me convenait pas. Voilà, c’est plus un concours de circonstances. Il n’y a pas de réels calculs.
Les personnages dans « Bats-toi »
Charlène MALANDAIN : On parle souvent des violences conjugales dans le sens de la négativité. À côté, dans votre roman, on voit que votre héroïne traverse un parcours très douloureux, mais parvient à se reconstruire. Chose qu’on ne voit pas beaucoup dans les médias. Comment avez-vous travaillé la psychologie de ce personnage ?
Hervé GRANSART : Je l’ai surconstruit. C’est un début de nouveau parcours. Elle y mêle encore beaucoup de nostalgie, de mélancolie. On m’a fait constater que la fin n’est pas positive. Chacun l’interprète comme il le ressent. Il y a quand même quelque chose de positif. Effectivement, elle en est enfin sortie. Pour certaines, cela prend quelques mois. D’autres, ce sont des années ou une vie entière quand on en parle. Pour les affaires les plus médiatisées, on entend parfois 20 ans, 40 ans. Elles ont vécu une vie entière sous le joug d’un agresseur. Quelle que soit la forme du joug ! Moi, j’ai choisi un angle avec des violences physiques. Mais il y a des couples où il n’y a aucune violence physique. Ça n’est que des violences psychologiques, financières, administratives. Vous avez des femmes qui n’ont pas de papiers. Ça leur a été confisqué.
« J’ai une crainte dans mes romans : que ce soit pathos »
À un moment donné, il fallait faire un résumé. J’aurais pu finir sur un meurtre, etc. Ce n’était pas mon intention. J’ai une crainte dans mes romans : que ce soit pathos. Le tire-larme ne m’intéresse pas. C’est par les émotions que je vous transmets, que ça doit venir naturellement. Je ne veux pas que ce soit systématique. Finir par un meurtre, c’est ce que j’aurais pu faire. Malheureusement, il y a 120 femmes victimes tuées par an. Je ne voulais pas finir comme cela. Je ne voulais pas finir comme ça non plus : « youpi, ça va être super, ça y est, je suis partie, tout va bien ». On sait que la reconstruction prend des années et des années. Parfois, elle est même quasi impossible parce que la femme a été détruite psychologiquement et que la plupart n’ont pas les moyens de se payer un psychiatre, psychologue. La reconstruction est compliquée.
« J’adore les fins ouvertes »
Dans l’association, il y a eu des femmes, qui sont également bénévoles, qui ont eu un parcours de résilience. Globalement, c’est 10 ans de reconstruction. Dans ce cas-là, je n’aime pas trop les moyennes. De toute façon, elles sont marquées à vie. On sent que l’héroïne sort de cette spirale infernale. Mais on sent bien que c’est un début de reconstruction. Et je reste à ça. J’adore les fins ouvertes, ce que tout le monde n’aime pas forcément. Chacun peut tirer le fil. J’aime bien ce point. Je laisse à penser qu’effectivement, elle va s’en sortir. J’espère qu’on sent bien que ça va être très long. D’ailleurs, dans le dernier chapitre qui s’appelle « Manège », on voit bien qu’elle a beaucoup de mal, qu’elle a des regrets, des remords, des interrogations. Par les interrogations, on se rend compte que ça va être compliqué.
Sa force. On dit souvent que les enfants ne sont pas des victimes collatérales. Ce sont des victimes, tout court. Nous, dans l’association, on traite également ce pôle enfant, parce qu’il faut les aider, les accompagner. En fait, elle tire sa force et son espoir de sa fille. C’est ce qui lui permet d’envisager une reconstruction.
Charlène MALANDAIN : Oui. D’ailleurs dans votre roman. La mère cherche vraiment à protéger sa fille de toutes ces violences.
Hervé GRANSART : Il faut casser une espèce de mythe, qu’on entend moins maintenant : « Oui, c’est un mari violent. Mais c’est un bon père ». Non ! Un homme violent est un homme violent, donc c’est un mauvais père. Même ceux qui ne sont pas violents avec leurs enfants, qui s’en occupent bien, ils renvoient une image aux enfants. Soient ils les marquent à vie sur « Papa était violent et que maman prenait ». Soient ils donnent un cadre en disant « C’est ça la norme. Je vais me comporter comme ça ». De toute façon, il fait du mal aux enfants. Un mari violent n’est pas un bon père. Nous, on se bat là-dessus. Il faut arrêter avec cette image Épinal, un homme a deux facettes. Ce n’est pas une mauvaise facette et une bonne facette. Il y a juste une mauvaise facette, voilà.
Donc, oui, sa petite fille est importante parce que c’est le lien qui la tient. Il y a 120 victimes par an. Mais on oublie les suicides. Dans les associations, on est à plus de 600 femmes qui mettent fin à leurs jours. Alors, on va nous dire : « ouais, ouais, il y a d’autres raisons pour arriver à ce point ». Sérieusement, quand vous êtes à ce point, oppressée à tout point de vue, il n’y a pas besoin d’autres raisons. Après, c’est des débats sans fin.
Charlène MALANDAIN : Effectivement. Dans votre roman, vous montrez l’évolution de l’amour vers la violence. Il faut bien noter que chaque violence conjugale commence par une vraie histoire d’amour. Comment avez-vous construit la dynamique entre ces deux pôles émotionnels ?
Hervé GRANSART : Le premier chapitre, une espèce de poème, enfin, c’est en prose, est très ambigu. Un éditeur me disait « On ne peut pas parler comme ça, il y a des maladresses de mots ». Désolé, je veux bien qu’on me dise ce qu’on veut. Mais sur ce sujet-là, je ne pense pas être maladroit. Je sais les mots que j’emploie. Je voulais montrer, entre ceux qui pensent « on devrait l’aider » et ceux « on entend souvent dire aux femmes, il suffit de partir »… Non, ce n’est pas si simple. Parce que d’abord, il y a un problème financier et logistique. Partir où ? Partir comment ? Partir avec quoi comme finances ?
« Au départ, c’est quasiment toutes une histoire d’amour. »
On lutte beaucoup sur l’éviction de son conjoint et que la femme reste dans son logement. Je voulais aussi montré : au départ, c’est quasiment toute une histoire d’amour. Ces femmes-là, elles aiment réellement leurs conjoints. Quand vous aimez quelqu’un passionnément et qu’il y a eu une vraie histoire, ça rentre en ligne de compte. Chacun a son niveau d’acceptation de ce qu’on subit, qui est plus ou moins élevé pour des raisons objectives et non objectives. C’est compliqué !
« Vous vous rendez compte qu’il n’est pas ce qu’il semblait être »
D’un seul coup, vous aimez quelqu’un, vous l’avez idéalisé dans un sens et dans un autre. Puis, vous vous rendez compte qu’il n’est pas du tout ce qu’il semblait être. C’est un drame. Et donc vous ne partez pas comme ça, parce qu’au début, on se rend compte que certaines femmes leur trouvent des excuses : « Oui, mais il est fatigué. Il n’est pas bien donc il réagit mal, etc. ».
Je traite cette partie dans mon roman. Mais quand il n’est pas stressé et qu’il va bien, il est charmant, etc. Donc voilà, c’est de ressorts psychologiques qui existent et il faut les admettre. Se dire que ce n’est pas si simple. Ceux qui disent « Elle n’a qu’à partir », ils n’ont jamais vécu ça. Quand vous vivez ça, vous ne dites pas ça. C’est très complexe. Si c’était si simple, il n’y aurait pas de meurtres. Ce n’est pas comme cela que ça se passe. Il y a beaucoup d’éducation à faire de ce côté psychologique et traiter avec de l’humain. On sait bien que c’est extrêmement compliqué.
« Elle lui redonne une chance »
Dans l’association, vous savez, on voit des femmes qui vivaient dans un 80 m2, certes oppressée à tout point de vue. D’un seul coup, elles se retrouvent dans un appartement, éventuellement partagé avec d’autres victimes. Ce n’est pas parce qu’on a vécu la même chose qu’on s’entend forcément. Dans des appartements et dans des quartiers parfois glauques.
Bah, elles repartent en se disant « je préfère encore passer sous les radars, me tenir bien, pour pas qu’il m’embête au lieu de vivre dans cet espace qui ne me convient pas, où je suis triste, je ne suis pas bien ». Donc il y en a qui repartent. Mais la plupart du temps, elles reviennent parce que ça devient insupportable.
Mais voilà, il y a tout ça qui rentre en ligne de compte. Donc, c’est une alchimie compliquée. Pour revenir à la question, moi, j’ai voulu montrer l’alchimie qui existe entre cet amour de départ, puis la sidération, la douleur, la souffrance. De dire à un moment donné, la souffrance et la douleur l’emportent sur l’amour. Au démarrage, elles se disent souvent qu’elles veulent sauver leur couple, qu’il faut donner une seconde chance à cet homme, qui au départ était si extraordinaire. Donc, elle cherche à le retrouver. Donc, elle lui redonne une chance. Malheureusement, la majeure partie des cas, c’est fini. Ces gens-là sont passés de l’autre côté, l’ont toujours été. Simplement, chez ces hommes-là, il y a aussi la notion d’appropriation. La femme leur appartient. Ils ont tous les droits.
Charlène MALANDAIN : D’ailleurs, on le voit bien dans votre roman. Au restaurant, elle donne quand même une deuxième chance à son conjoint. Quand on écoute les propos, qui est quand même de la manipulation et de l’emprise. Entre guillemets, vraiment un « red flag ». Dans votre roman, on voit vraiment que la relation entre la victime et son bourreau est complexe. Comment avez-vous abordé la psychologie de l’agresseur dans votre récit ?
Hervé GRANSART : Oui, oui. On m’a d’ailleurs fait la remarque que le seul personnage que je ne prenais pas était l’enfant. Je ne voulais pas traiter l’enfant. C’est une autre histoire. Je voulais montrer que les hommes se comportent tous de la même façon. Il y a un côté « il se victimise, ce n’est pas leur faute à eux ». Ils sont comme ça, mais il y a des raisons. Puis, il faut aussi qu’elle fasse attention.
J’avais regardé un reportage très intéressant sur le traitement des agresseurs dans des centres spécialisés. C’est très difficile de les faire revenir en arrière. Il y a un tour d’échec monumental pour le moment dans le système pour les guérir. Tous disent : Ce n’est pas leur faute. C’est soit la faute de l’alcool, soit la faute du travail, soit la faute de leurs parents d’avant, soit la faute de leur épouse qui ne sait comment s’y prendre. Et puis, les hommes ont été éduqués depuis toujours sur la notion du patriarcat. C’est eux le mâle. C’est à eux que tout est dévolu. La femme leur appartient. C’est leur chose., eux qui décident., eux le maître de la maison. À partir du moment qu’on est dans la mentalité patriarcale, on ne peut pas y arriver.
« Ce sont des manipulateurs »
D’ailleurs, en sociologie, la notion de pervers narcissique n’existe pas. Les sociologues ont beaucoup remis en cause cette notion-là. En revanche, ce sont des manipulateurs. Manipulation ne veut pas dire qu’ils sont tellement malins, qu’ils ont préparé le coup. Il y en a, c’est simplement une réaction presque intuitive, qui est de dire : « Ce n’est pas ma faute. Je n’y suis pour rien. C’est comme ça. ». Tant qu’on n’arrivera pas à expliquer que la société, c’est l’égalité des droits homme-femme, bah on en est là. Moi, j’aime beaucoup ce slogan qui est moins agressif que d’autres : « Au lieu de protéger nos filles, éduquons nos garçons. ».
Dès petit, on va leur expliquer que : on peut mettre un teeshirt rose si vous êtes un garçon, ça ne fait pas de vous une fille ; vous pouvez pleurer, vous n’êtes pas obligés de jouer aux petites voitures. Cependant, la petite fille peut jouer aux petites voitures. Ça ne fait pas des gens déstructurés, des gens non genrés. Il faut arrêter avec cela !
On prend un exemple. On va en sensibilisation dans les collèges et les lycées. Vous savez que seulement 30 % des tâches dans le BTP font appel à de la force physique. Ça veut dire qu’une femme peut être électricienne, plombier, conduire une grue. Juste moi je suis incapable de monter dans une grue, j’ai le vertige. Je serai tétanisé là-haut. Il y a des siècles à tout déconstruire. Ce n’est pas normal que les femmes ne soient pas scientifiques.
« Elle n’oubliera pas ce qu’elle a vécu »
Le schéma est toujours le même. Je voulais montrer, à travers ce dîner, qu’il lui promet à nouveau de beaux jours. Elle lui fait à nouveau confiance parce que le ressort est l’amour. Il lui fait la grande scène et elle veut y croire. Elle lui donne une deuxième chance. Évidemment, il lui promet de revenir à une vie qu’elle a connue, qu’elle a aimée. Elle l’aime. Elle a aimé la vie qu’elle a eue. Donc elle se dit : s’il est sincère, je vais retrouver ma vie normale. Il le fait bien. Il le fait même très bien. Et qui ne tomberait pas dans le panneau ? Elle le dit : elle n’oubliera pas ce qu’elle a vécu.
Au début, ça part bien. Le coup « je reviens avec des fleurs » est une réalité. On l’a vu et on le voit tous les jours. Ça tient en l’espace de x semaines ou x mois. Malheureusement, le naturel revient au galop. En général, il revient au galop plus fort. Il s’est tellement retenu. Quand ça lâche, c’est encore pire. Le coup de la scène « je vais changer, etc. », ça peut revenir plusieurs fois. C’est dire l’emprise et la manipulation profondément ancrées.
La plume d’Hervé GRANSART
Charlène MALANDAIN : D’ailleurs, vous abordez toutes ces thématiques avec votre style d’écriture qui est très immersif. Comment avez-vous réussi à retranscrire les émotions intenses des personnages tout en gardant un ton juste ?
Hervé GRANSART : Je prendrais la question comme un compliment.
Charlène MALANDAIN : C’est également un compliment.
Hervé GRANSART : Tant mieux si mon style plaît. Je crois beaucoup à la musicalité des phrases et des mots. Je ne le calcule pas tant que ça. C’est naturel. J’ai trouvé là, c’est un petit clin d’œil marketing. Je suis un souffleur d’histoire. Il y a « souffle » et « histoire ». Il y a une espèce de murmure, mais il y a une espèce de mélodie. Moi, je suis plus intéressé par la musicalité que par la technique.
Maintenant, j’ai une correctrice qui est exceptionnelle. Trop technique, ça m’ennuie vite. Pour moi, un livre, c’est comme un son de musique, un film que vous allez voir au cinéma. J’ai besoin d’être transporté. J’ai une insistance là-dessus. Je veux transporter les gens. Les lecteurs ferment le bouquin et se disent, pas forcément « Wouaouh », mais qu’ils réfléchissent !
J’avais beaucoup aimé sur un autre roman, qui est un vieux couple qui finit par se disputer, ce n’est pas le sujet. Il y avait une lectrice qui est venue me voir : « Oh là ! Le soir et la semaine d’après, ça a dû être l’horreur chez eux ». C’est une histoire inventée, qui n’existe pas. Donc ; ça veut dire que ça l’a transporté et que d’un seul coup, elle s’est identifiée à l’histoire. Donc voilà, ça, ça me plaît. Je cherche cela clairement. Je veux que mes mots transportent et même sur un sujet plus délicat comme celui de « Bats-toi ». Bien évidemment, il ne transportera pas. Il n’y a pas d’intérêt à être transporté dans les violences conjugales. Dans ce cas, c’est de réfléchir. J’essaie que mon écriture chante d’histoire en histoire. On me reconnaît à travers des mots, des expressions que j’emploie.
Charlène MALANDAIN : Votre livre mêle amour, drame et résilience. Comment trouvez-vous l’équilibre entre ces éléments dans votre écriture ?
Hervé GRANSART : Oui, mais c’est l’histoire de la vie humaine : la joie, la peine et la mort. Je suis quelqu’un de mélancolique. Mélancolique n’est pas forcément négatif. Dans la mélancolie, il y a une partie de rêve. L’humain tourne autour de cela. Moi, j’y crois beaucoup. Pour une bonne ou une mauvaise nouvelle, la roue tourne toujours. Ce n’est jamais linéaire. Quelquefois, il y a deux mauvaises nouvelles pour une bonne nouvelle. Moi, je crois à cela. Il y a toujours des constantes qui sont pour la peine et la joie.
Là, je viens de terminer une fiction absolue sur un antihéros. On retrouve un potentiel amour et une sorte de résilience. C’est un mot à la mode, de dépassement de soi pour essayer d’avancer. Quand tout est échec, on se dit « on recommence à zéro ». Recommencer à zéro est dur et n’est pas donné à tout le monde. Je plaque tout et je recommence à zéro. Moi, je crois à cela. Ça m’est arrivé, peut-être pas à zéro, de tout plaquer et de faire autre chose. Je l’ai vécu il n’y a pas si longtemps que cela. La raison ne m’appartenait pas spécialement. Mais j’ai suivi le mouvement parce que ça m’allait bien. Se dire : « j’arrête tout, je fais autre chose et on verra bien ». C’est une mise en danger personnelle et intellectuelle que j’aime bien.
Charlène MALANDAIN : En revenant à l’écriture, vous décrivez avec beaucoup de précision les mécanismes de l’emprise. Comment avez-vous fait pour rendre ces situations aussi crédibles ?
Hervé GRANSART : Malheureusement, je n’ai rien inventé. J’ai juste écouté 20 ans de témoignages de femmes. On pourrait dire que je suis un voleur de vies. Mais un écrivain, c’est un voleur de la vie des autres ou son imaginaire est forcément imprégné de faits réels. Là-dessus, tout me traverse. Je suis une éponge émotionnelle. Je regarde des gens passés dans la rue, une situation qui se passe, je me dis « Qu’est-ce qui les conduit à ce point ? ». Ça me passionne. Je n’ai pas de réponse. J’ai écrit des nouvelles sur des situations que je voyais. Puis, j’ai inventé une histoire. Ça me passionne. C’est presque un travail d’anthropologie. Ce n’est que la somme de faits qui se sont produits. Je n’ai pas de mérite. C’est une compilation de ce que j’ai entendu. Cela étant, je les mets à ma sauce, bien évidemment.
Les messages passés par Hervé GRANSART dans « Bats-toi »
Charlène MALANDAIN : Quel message souhaitez-vous transmettre à travers « Bats-toi » aux victimes de violences conjugales ?
Hervé GRANSART : Il y en a plusieurs. Si ça pouvait servir à des hommes de dire : vous êtes des agresseurs. Enfin, je ne veux pas vous accuser, en l’occurrence je ne suis pas juge, vous êtes juste des agresseurs. Mais ça ne se joue pas que là. Peut-être un message aux femmes : « Bien évidemment, votre paix est partie, c’est une évidence, mais sachez que vous n’êtes pas seules ». Je m’inscris dans un mouvement : je crois les femmes en disant « je suis battue, je suis victime ». Il y en a qui disent que pour une qui exagère ou qui ment, il y en a 100 voire 1 000 qui vivent vraiment ça. Donc, on croit les femmes par principe et par définition.
Sans prétention, je vais décrire ce que vous allez vivre. Alors, essayez d’éviter cette situation. C’est un témoignage et un hommage à toutes ces femmes, que je trouve extrêmement courageuses. Encore une fois, certaines sont mortes sous les coups de leurs conjoints. Je voudrais que les gens affrontent la réalité : se rendre compte de ce qu’elles vivent ; arrêter de dire qu’elles devraient partir, que c’est comme ci. C’est juste un hommage aux femmes que je vénère réellement. Je dis tout le temps, et même avant ce roman : la femme est plus intelligente que l’homme. Ça, c’est ma perception des choses.
Charlène MALANDAIN : Pensez-vous que la littérature peut jouer un rôle dans la sensibilisation aux violences faites aux femmes ?
Hervé GRANSART : Oui, mais pas que la littérature. Au cinéma, il y a des films extraordinaires. En tant que directeur de festival de cinéma, on avait projeté « Jusqu’à la garde », un film exceptionnel. Le réalisateur avait travaillé en milieu associatif pendant des années. Je crois beaucoup que la culture peut émanciper, surtout quand la culture est populaire au sens propre et joli du terme. La culture ne doit pas être réservée à une caste intellectuelle ou financière au-dessus. Elle permet de montrer des choses. Après, il y a le libre arbitre. Ce n’est pas une question de dictature de la Culture.
Heureusement. C’est une question de prise de conscience. Donc oui, elle n’est pas suffisante. Cependant, leur façon n’est pas la bonne. Pourquoi des hommes connus, qui ont une audience, ne montent pas au créneau en disant : il faut arrêter ce comportement. Puis, c’est l’égalité des droits homme-femme. Un agresseur est un agresseur. Un mari violent n’est pas un bon père.
Il y a des hommes féministes. Ce n’est pas une honte. Moi, je suis féministe. Je suis très fier du travail de Vincent Lindon. Cependant, on attend de cet homme-là, qui a eu des prises de position ferme et engagé sur ce sujet-là, de dire « Moi, je voudrais bien aider, mais je ne sais pas comment faire ». Sérieusement ? Il n’y a pas besoin de lui faire un cours. Pour répondre à la question, toutes formes d’art permettent de sensibiliser à ce sujet. Du moment qu’on parle de ce sujet, il doit en rester quelque chose. Mais, ce n’est pas suffisant !
L’accueil du livre « Bats-toi »
Charlène MALANDAIN : Comment le public réagit-il à ce livre, notamment les femmes qui pourraient se retrouver dans cette histoire ?
Hervé GRANSART : J’ai eu les deux cas. Le premier : je ne veux pas revenir sur ce que j’ai vécu. Bon, c’était du 50-50, je ne suis pas prête à relire ce que j’ai vécu. J’ai assez donné et je n’ai pas besoin de le lire. Le second : Ah, ça a l’air intéressant et c’est intéressant qu’un homme en parle, donc je vais le lire. Voir comment le sujet est traité en tant qu’homme.
De plus, je ne viens pas de nulle part. Je ne mets pas en avant pour faire de la publicité en me montrant meilleur qu’un autre. Encore une fois, je me répète : j’ai agi dans des associations depuis 20 ans, donc ça fait un petit moment que j’entends parler du sujet. Je ne viens pas là par hasard. Donc il y a eu cet effet-là. Je tiens à dire : avant de le publier, j’ai trois femmes, des amies, qui ont vécu ces sujets. Elles ont accepté de lire mon roman. Je voulais voir si je n’étais pas tombé dans le pathos et voir comment elles le ressentaient. Aucune des trois ne m’a dit que c’étaient le cas. En même temps, elles savent d’où je viens, elles connaissent mon parcours. Je voulais voir s’il n’y avait pas d’impair.
Charlène MALANDAIN : Avez-vous eu des retours de lecteurs ou de lectrices qui vous ont particulièrement marqué depuis la publication de « Bats-toi » ?
Hervé GRANSART : Oui, ce sont ces trois femmes. Elles m’ont dit, chacune à leur façon, que j’avais bien retranscrit ce qu’elles avaient vécu, ce qu’elles avaient connu. Ces trois femmes s’en sont sorties. L’histoire les avait touchées. Elles se sentaient aidées et que tous les hommes ne sont pas ce qu’elles avaient connu.
Après, j’ai rarement de contact avec mes lecteurs. Ce qui peut être embêtant. Peut-être que je n’en ai pas assez. Je ne sais pas. J’ai rarement des retours. En tout cas, sur « Bats-toi, je n’ai pas eu de retours négatifs. À l’époque où nous sommes, les gens sont assez prompts à réagir, à exprimer leurs émotions. Derrière un écran, on se sent libre d’être agressif. Donc, je pense que, s’il y avait eu des retours négatifs, je les aurais vus.
Les projets futurs d’Hervé GRANSART
Charlène MALANDAIN : Avez-vous l’intention de continuer à explorer des thèmes aussi forts dans vos prochains livres ?
Hervé GRANSART : Pour le moment, ça ne vient pas. Mais peut-être. J’ai sorti de deux livres à thématiques fortes. J’avoue que mentalement, je suis un peu fatigué. Je suis parti sur des choses un peu plus légères parce que je ne veux pas donner l’image de quelqu’un qui est sombre tout le temps. Si je le suis, sûrement. Je me nourris même de ça. Le roman d’avant était sur un homme en grandes difficultés, qui a été bancal toute sa vie, etc. Mais il se trouve que c’était l’histoire de mon papa.
« Une bonne satire commence par s’égratigner soi-même »
Cela étant, j’ai enchainé sur « Bats-toi ». Là, je suis parti sur deux romans beaucoup plus léger, sarcastique. Le suivant est un antihéros, parce que j’ai envie de déconstruire le côté super héros. Un petit bonhomme qui n’a pas d’ambition qui est affublée d’un seul coup par un super pouvoir, c’est juste un échec absolu. Ça m’amusait. Celui d’après que je suis en train de finaliser, je me moque de tout le monde, moi compris, dans le milieu de l’écriture. Je voulais égratigner tout le monde et moi le premier. Une bonne satire commence par s’égratigner soi-même, sinon c’est trop facile. Je pense que je suis assez caustique. Je vais me moquer beaucoup. Ça va beaucoup déplaire. Mais cela est fait exprès.
« Je n’ai pas de plan de carrière »
Ça reviendra. Encore une fois, je n’ai pas de plan de carrière. Je me suis aussi lancé dans l’écriture de pièces de théâtre. Je n’étais pas parti pour adapter « Bats-toi ». Une personne qui a aimé le livre m’a dit « faut que tu en fasses une pièce ». Je l’ai réadapté en pièce de théâtre. C’est un peu compliqué de faire un seul en scène de ça. La comédienne a reçu les épreuves. J’attends son retour.
Je veux également revenir aux nouvelles. J’adore le format des nouvelles. En quelques pages, on peut tout raconter. Il y en a une, c’est une phobie. Comme c’est une phobie, je n’arrive pas à l’écrire. C’est sur la mort. Mais j’y arriverai.
Charlène MALANDAIN : J’aimerais que vous présentiez toutes vos œuvres aux lecteurs. De quoi elles parlent en quelques phrases ? Les thématiques abordées ?
Hervé GRANSART : On peut les retrouver sur mon site. J’ai commencé par des nouvelles qui traitent de l’humain. Auparavant, ’ai été journaliste. J’ai été correspondant de presse locale dans un quotidien. Écrire vite et de tout mettre dedans est un exercice de style très compliqué. Beaucoup plus compliqué que ça en a l’air.
Quand vous partez dans un roman, c’est astreignant. Vous pouvez vous dire : « Oh, aujourd’hui, j’écris ou je n’écris pas. Reprendre, c’est compliqué ».
Une nouvelle, c’est plus exigeant d’un point de vue logistique. J’aime bien. Je fais parler un réverbère, un chat, un bébé. Du coup, ça vous décale, ça vous met de côté en disant « ce n’est pas moi, c’est l’auteur ». Je pars de ce principe-là parce qu’on peut dire ce qu’on veut. Je peux aussi dire ce que je déteste. J’avais fait une nouvelle sur les illuminations de Noël, qui éclairent les jardins, les maisons. Ça me permet de rigoler là-dessus.
Je déteste les parapluies. Je ne sais pas si vous avez constaté que ceux qui ont des parapluies se mettent sous les toits pour protéger leurs parapluies, qui les protègent d’eux-mêmes. Déjà, vous n’avez pas de parapluie et vous finissez éborgnés. Ça me rend fou. Les valises dans le métro, pour l’avoir vécu. Ce sont des petites pastilles que j’aime beaucoup. Si vous l’écrivez bien, en quatre pages, il y a bien un début, un milieu et une fin. L’histoire est bien racontée et il n’y a pas besoin de tirer 150 pages.
« La question »
Donc les nouvelles ? C’est trois recueils de nouvelles. Ensuite, j’ai écrit un roman qui s’appelle « La question », sur le thème : les femmes sont plus intelligentes que les hommes. C’est un vieux couple, qui a très bien réussi, qui a été heureux. Ils ont une petite habitude l’après-midi : venir sur une place de village pendant une heure, ils se promènent, ils viennent s’asseoir sur un banc et profiter de l’air et du temps qui passe. Il va poser une question, que seul un homme posera à une femme, qui complètement inerte, hors propos et hors sujet.
Elle va s’amuser autour de ça. Une femme ne poserait pas cette question-là à ce moment-là de leur vie. Lui, plus il va voir qu’elle ne répond pas, plus il se dit qu’il a eu raison de poser la question et qu’il a la réponse. Alors, est-ce qu’il aura la réponse ? Je ne vous le dirais pas. C’est ce roman-là qu’une dame m’a dit « en rentrant le soir, leur vie a dû être tellement immonde, et leur semaine d’après n’existe pas ». C’est une vraie fiction. Seule la place du village existe vraiment. C’est un petit village que j’ai connu quand j’étais enfant.
« Dernier domicile connu »
Celui d’après s’appelle « Dernier domicile connu ». C’est l’histoire de cet homme bancal qui n’a pas eu la vie qu’il a voulu avoir. Je ne sais pas celle qu’il aurait voulu avoir. C’est une interprétation que j’en ai faite. Tous les faits sont réels.
Mais comme disait Boris Vian : c’est une histoire vraie, je l’ai imaginée. C’est l’histoire de mon papa. J’ai mis 20 ans à finaliser ce livre. Heureusement que je ne l’ai pas écrit trop vite. Finalement, je l’aurais moins bien écrit que je pense de ce qu’il est aujourd’hui. Je commence toujours par le début et la fin, et je trouvais qu’au milieu c’est un homme qui n’a aucun intérêt. C’est juste un homme comme un autre. Je ne trouvais pas le milieu. Et puis, au bout de 20 ans de maturité d’écriture, j’ai réussi à la finir. J’ai trouvé enfin les axes. Ce bouquin me plaît beaucoup.
Je suis tombé sur une éditrice indélicate qui a d’ailleurs lu. Mon nouvel éditeur, celui de « Bats-toi », l’a lu et accepté de le rééditer. Il va sortir au mois d’octobre. J’y ai mon âme d’auteur et de fils. Ce n’est pas totalement autobiographique, mais un peu. Puis, il y a « Bats-toi » sur les violences faites aux femmes.
« Lettres ouvertes »
Il y a également quatre pièces de théâtre, dont une qui a été éditée par un gros éditeur de pièces de théâtre. Cette pièce s’appelle « Lettres ouvertes ». C’est un couple qui découvre un paquet de lettres et qui va les ouvrir et commenter ce qu’ils lisent. On va découvrir que leur histoire n’est pas si évidente qu’elle en a l’air. Voilà, ça tourne toujours autour de l’humain. L’humain me fascine autant qu’il m’exaspère.
Charlène MALANDAIN : Comme dernière question, qui va concerner les lecteurs et ceux qui veulent devenir auteurs, quel conseil leur donneriez-vous ?
Hervé GRANSART : Je connais des gens qui écrivent et qui ne cherchent pas du tour à être publiés. Leurs écrits sont dans leurs tiroirs et ça leur va bien. Passer au tapis des éditeurs est très compliqué. J’en connais qui font de l’autoédition et qui en sont très contents. Ils ne sont pas mieux payés que moi, mais ils préfèrent ainsi. C’est une autre complication. Le seul conseil que je donnerai : ne jamais rien lâcher et d’y croire ! En écrivant, on progresse tous les jours. Passer après à l’édition est un autre parcours. L’écriture est une passion, une évasion, une thérapie.
Faut écrire comme on en a envie, comme on le veut. J’ai moi-même failli abandonner parce que certains éditeurs m’ont expliqué clairement que je devrais faire autre chose. D’autres pas, heureusement. Il y a des moments de découragement. Mais c’est comme dans tout domaine. Ceux qui ont envie d’écrire n’ont pas besoin de m’entendre. Ils ne lâchent jamais l’affaire et écrivent. Après la forme que ça prend, c’est autre chose.
Il faut se confronter aux lecteurs. C’est important d’avoir des retours. Je sais que maintenant, c’est important de s’entendre dire « mais là, je ne comprends pas ça. Qu’est-ce que tu as voulu dire ? ». Il n’y a pas de jugements de valeur à apporter sauf si c’est vraiment mal écrit. L’autre conseil est de lire à haute voix son texte. C’est complètement différent que lorsqu’on le lit dans notre tête. Lorsqu’on lit à haute voix, on entend si la phrase est correcte ou non. Mais cela est nécessaire, même si c’est fastidieux.